Les cryptomonnaies ne sont pas anonymes. Elles sont pseudo-anonymes. Chaque transaction laisse une trace permanente sur la blockchain, et ces traces peuvent être suivies, analysées, et reliées à des personnes réelles. C’est là que la forensique blockchain entre en jeu - une discipline technique et juridique qui permet aux autorités de traquer les fonds illicites, d’identifier les sanctions contournées, et de mettre fin à des réseaux criminels entiers.
Comment les autorités suivent-elles l’argent sur la blockchain ?
Contrairement aux systèmes bancaires traditionnels, où les transactions sont cachées derrière des couches de confidentialité, la blockchain est publique. Tout le monde peut voir les transferts entre adresses. Le problème, c’est que ces adresses ne portent pas de noms. Elles ressemblent à des chaînes aléatoires de lettres et de chiffres : 0x742...a9c.
Les enquêteurs ne partent pas de zéro. Ils commencent souvent avec une piste classique : un agent undercover qui effectue un achat sur un marché noir, un virement suspect vers un échange de cryptomonnaies, ou une adresse liée à un ransomware. À partir de là, ils utilisent des outils d’analyse pour suivre les flux d’argent à travers des dizaines, voire des centaines de transactions.
Prenons l’affaire Helix. En 2016, un agent a transféré des bitcoins provenant du marché noir AlphaBay à travers le service de mélange Helix. Ce service, conçu pour cacher l’origine des fonds, a été utilisé pour blanchir plus de 300 millions de dollars. Les enquêteurs ont passé des mois à examiner manuellement chaque transaction. Aujourd’hui, un outil comme Elliptic peut automatiser cette analyse en quelques heures. Il identifie les motifs récurrents : des transferts en éventail, des regroupements de fonds, des cycles de retrait et de dépôt. Ces motifs sont les empreintes digitales des blanchisseurs.
Les techniques de contournement des sanctions - et comment les détecter
Depuis 2022, les sanctions internationales contre la Russie, l’Iran, la Corée du Nord et d’autres pays ont poussé les criminels à utiliser les cryptomonnaies pour contourner les restrictions financières. Les techniques sont de plus en plus sophistiquées :
- Le cross-chain bridging : transférer des BTC vers Ethereum, puis vers une blockchain moins surveillée comme Solana ou TON.
- Les mixers décentralisés comme Tornado Cash, qui mélangent des fonds de centaines d’utilisateurs pour effacer les traces.
- Les wallets fantômes : des adresses créées spécifiquement pour recevoir des fonds sanctionnés, puis transférés à des échanges non régulés.
- Les smart contracts malveillants : des programmes automatisés qui déplacent les fonds sans intervention humaine, rendant la traçabilité plus complexe.
Des plateformes comme TRM Labs ont identifié cinq schémas récurrents de contournement de sanctions. Même si les détails précis ne sont pas publiés (pour éviter qu’ils soient utilisés par les criminels), les systèmes modernes détectent ces comportements grâce à l’analyse de graphes de transactions. Par exemple, si une adresse liée à une entité sanctionnée en Russie envoie des fonds à un portefeuille qui, 30 minutes plus tard, envoie exactement la même somme à un échange basé à Dubaï, l’algorithme la marque comme suspecte.
Un système récent, appelé MPOCryptoML, a été développé par des chercheurs pour améliorer la détection des schémas de blanchiment. Il combine des algorithmes de PageRank personnalisé avec une analyse topologique des graphes de transactions. Sur des jeux de données réels, il a surpassé les systèmes existants de jusqu’à 10 % en précision et en rappel. Cela signifie qu’il repère plus de fraudes, avec moins de faux positifs.
Qui utilise ces outils - et pourquoi ?
Les autorités ne sont pas les seules à utiliser la forensique blockchain. Les acteurs du secteur cryptomonnaie y sont obligés par la loi.
Les échanges comme Bitget ou Kraken intègrent des outils d’analyse pour bloquer automatiquement les transactions venant d’adresses sanctionnées. Si un client tente de déposer des fonds provenant d’un portefeuille lié à un hacker de ransomware, l’échange peut les geler et signaler l’incident aux autorités. C’est une exigence de la loi sur la lutte contre le blanchiment d’argent (AML) dans l’Union européenne, les États-Unis, et désormais plus de 120 pays.
Les banques, elles, utilisent ces outils pour évaluer les risques avant de collaborer avec des entreprises fintech ou des fonds d’investissement en cryptomonnaies. Un simple transfert de 50 000 euros vers un portefeuille inconnu peut déclencher une enquête interne. Pourquoi ? Parce qu’un seul lien avec une entité sanctionnée peut entraîner des amendes de plusieurs millions d’euros.
Et puis il y a les organisations humanitaires. L’Internet Watch Foundation, qui traque les contenus pédopornographiques en ligne, utilise Elliptic pour suivre les paiements en cryptomonnaies faits pour accéder à ces contenus. En bloquant les adresses liées à ces sites, ils coupent le financement des réseaux criminels - un exemple rare où la technologie est utilisée pour protéger les plus vulnérables.
Les limites de la forensique blockchain
Malgré les progrès, ce n’est pas une solution magique. Les criminels s’adaptent. Les nouveaux protocoles de confidentialité, comme Zcash ou Monero, rendent la traçabilité presque impossible. Même sur Ethereum, les utilisateurs peuvent recourir à des services de mélange non centralisés ou à des vaults intelligents qui dissimulent les flux.
De plus, la blockchain est mondiale. Une transaction peut passer de la Chine à la Suisse en 12 secondes. Les autorités nationales n’ont pas toujours les moyens ou les accords pour coopérer rapidement. La Chine a interdit les cryptomonnaies, la Russie les tolère, l’UE les encadre. Cette fragmentation complique les enquêtes transnationales.
Et puis, il y a le problème de la taille des données. Une seule journée sur Ethereum génère plus de 1,2 million de transactions. Traiter cela en temps réel exige des infrastructures informatiques colossales. Seules les grandes institutions - les banques centrales, les agences de renseignement, les géants de la crypto - peuvent se le permettre.
Comment les entreprises se préparent à la conformité
Les entreprises qui veulent rester légitimes doivent intégrer la forensique blockchain dans leur ADN. Ce n’est plus un luxe : c’est une obligation légale.
- Elles doivent scanner chaque dépôt et retrait à la recherche d’adresses connues comme sanctionnées.
- Elles doivent mettre à jour leurs listes de blocage quotidiennement - les sanctions changent chaque semaine.
- Elles doivent former leur équipe de conformité à lire les graphes de transactions, à comprendre les smart contracts, et à interpréter les alertes des outils d’analyse.
- Elles doivent documenter chaque décision : pourquoi ont-ils bloqué ce transfert ? Quelle preuve ont-ils ?
Les outils comme Elliptic ou Chainalysis offrent des formations certifiées pour les équipes de compliance. Ce n’est plus une question de technologie - c’est une question de culture organisationnelle. Une entreprise qui ignore la forensique blockchain court un risque juridique énorme. En 2024, une plateforme européenne a été sanctionnée à hauteur de 17 millions d’euros pour avoir permis des transferts vers une entité russe sanctionnée.
L’avenir : plus de données, plus de puissance
La forensique blockchain ne fait que commencer. Chaque nouvelle transaction ajoute une pièce au puzzle. Plus le temps passe, plus les liens entre les adresses deviennent clairs. Un portefeuille qui a reçu des fonds d’un hacker en 2020 peut être relié à un échange en 2025, puis à un compte bancaire en 2027.
Les futures avancées porteront sur :
- La détection en temps réel des transactions entre chaînes (cross-chain surveillance).
- L’intégration de l’intelligence artificielle pour prédire les schémas de blanchiment avant qu’ils ne se produisent.
- Les systèmes de profilage de risque qui attribuent un score à chaque adresse, comme un crédit bancaire, mais pour la crypto.
Les régulateurs veulent que les cryptomonnaies deviennent mainstream. Pour cela, il faut qu’elles soient sûres. La forensique blockchain n’est pas un outil de répression - c’est un outil de légitimité. Sans elle, les cryptomonnaies resteraient un terrain vague pour les criminels. Avec elle, elles peuvent devenir un système financier ouvert, transparent, et fiable.
Les outils les plus utilisés par les autorités
Voici les principales plateformes de forensique blockchain adoptées par les forces de l’ordre et les institutions financières :
| Plateforme | Capacité clé | Intégration | Adoptée par |
|---|---|---|---|
| Elliptic | Visualisation des flux de fonds sur 150+ chaînes | API, SIEM, plateformes d’échange | Europol, Banque de France, Bitget, HSBC |
| TRM Labs | Détection des contournements de sanctions en temps réel | CRM, systèmes de compliance | US Treasury, IMF, Binance |
| Chainalysis | Analyse de transaction historique et traçabilité des ransomwares | Logiciels de police, gouvernements | FBI, DEA, Europol, Deutsche Bank |
| MPOCryptoML | Algorithme de détection de schémas de blanchiment avancés | Recherche académique, systèmes de police | Universités européennes, unités de cybercriminalité |
La blockchain est-elle vraiment traçable si elle est décentralisée ?
Oui. La décentralisation signifie qu’aucune entité ne contrôle la blockchain, mais cela ne signifie pas que les données sont cachées. Toutes les transactions sont publiques et immuables. Ce qui est difficile, c’est de relier une adresse à une personne réelle. C’est là que la forensique intervient : elle utilise des données externes - adresses d’échange, transactions historiques, comportements - pour faire ce lien. C’est comme suivre des empreintes dans la neige : elles sont visibles, mais il faut savoir où regarder.
Les cryptomonnaies comme Monero ou Zcash sont-elles inviolables ?
Pas totalement. Monero et Zcash utilisent des technologies de confidentialité qui rendent la traçabilité extrêmement difficile - mais pas impossible. Les chercheurs travaillent sur des méthodes pour détecter des anomalies dans les transactions, comme des montants récurrents ou des cycles de transfert. De plus, si un utilisateur envoie des fonds de Monero vers un échange régulé (comme Kraken), l’échange doit identifier l’origine. Si elle est inconnue, le dépôt est bloqué. La confidentialité ne protège pas les transactions qui entrent dans le système financier traditionnel.
Pourquoi les sanctions sont-elles plus faciles à détecter que le blanchiment classique ?
Parce que les sanctions ciblent des entités spécifiques : des noms, des adresses, des numéros de compte. Ces données sont publiées par les gouvernements. Une fois qu’une adresse est sur la liste noire, n’importe quel outil de forensique peut la détecter automatiquement. Le blanchiment classique, lui, cherche à cacher l’origine - ce qui est plus complexe. Les sanctions sont des cibles fixes. Le blanchiment est un mouvement constant.
Un particulier peut-il être accusé sans preuve concrète ?
Non. Une alerte d’un outil de forensique n’est pas une preuve. C’est un indicateur. Les autorités doivent toujours prouver que la personne a eu connaissance de l’origine illicite des fonds, ou qu’elle a participé activement au blanchiment. Une simple réception de fonds d’une adresse suspecte ne suffit pas. Il faut un lien intentionnel. La forensique aide à construire un dossier, pas à juger.
Les gouvernements utilisent-ils ces outils pour surveiller leurs propres citoyens ?
Dans l’Union européenne, la loi exige que les outils de forensique soient utilisés uniquement pour lutter contre la criminalité financière. Toute surveillance massive ou ciblée des citoyens sans mandat judiciaire est interdite par le RGPD. Les données de blockchain sont traitées comme des données sensibles. Les agences doivent justifier chaque enquête. En France, par exemple, seul le Parquet national financier peut autoriser une analyse approfondie d’une adresse personnelle. Ce n’est pas un outil de contrôle social - c’est un outil de justice.
7 Commentaires
Alors là, j’ai juste envie de crier dans un coussin. On nous dit que la blockchain est traçable, mais franchement, si je veux acheter un café avec des BTC sans que le fisc sache que j’ai une vie, je vais trouver un moyen. Les gars, on est en 2025, pas dans un film de 2012. Les outils d’analyse ? Oui, ils sont forts. Mais ils sont aussi bêtes qu’un chien qui aboie après une voiture.
HAHAHAHA les autorités ? Tu crois vraiment qu’ils savent ce qu’ils font ? Ils suivent des adresses comme si c’était des numéros de téléphone. Pendant ce temps, les Russes envoient leur argent via des NFT de chats qui clignotent. C’est pas de la forensique, c’est de la comédie. Et vous, vous payez vos impôts en BTC ? Moi j’espère que oui, parce que sinon vous êtes des hypocrites.
Je suis ingénieure en sécurité blockchain et je peux confirmer : la traçabilité est réelle, mais elle dépend fortement de l’entrée de données externes. Une adresse sur la blockchain ne dit rien sans lien avec un KYC, un échange, ou un comportement récurrent. Les outils comme Chainalysis ou TRM Labs sont efficaces… à condition que les échanges coopèrent. Sans cela, c’est comme chercher une aiguille dans une botte de foin… avec une loupe en carton 😅
C’est absolument inacceptable que l’on puisse contourner les sanctions par des moyens technologiques aussi rudimentaires. Les citoyens responsables ne doivent pas être mis en danger par des individus qui exploitent des failles morales et légales. La transparence n’est pas un luxe, c’est un devoir civique. Si vous ne comprenez pas cela, alors vous n’êtes pas digne de vivre dans une société démocratique.
Je trouve ça fou mais aussi cool que la tech puisse servir à protéger les gens… genre, bloquer les paiements pour du contenu pédopornographique ? Oui s’il vous plaît. C’est rare qu’on parle de la crypto comme d’un outil de bienveillance 😊
Monero est inviolable. Point. Vous avez lu les papiers ? Non. Alors arrêtez de croire aux contes de fées de Chainalysis.
Il convient de souligner, avec une rigueur académique inébranlable, que la pseudonymie intrinsèque des protocoles décentralisés constitue une contrainte épistémologique fondamentale à la gouvernance étatique. L’illusion de traçabilité, telle qu’émise par les fournisseurs de solutions commerciales, relève d’un discours de légitimation néolibérale, et non d’une vérité technique.